Aller

Probablement un des verbes les plus usités de la langue française, « aller » est cependant bien étrange et sa conjugaison ne ressemble à aucune autre. Un verbe irrégulier du 3ème groupe, déguisé pour ressembler aux copains du 1er groupe quand ça lui chante, je comprendrais parfaitement qu’on trouve ça un rien agaçant… Mais à y regarder de plus près, je vous promets que c’est assez fascinant ! En fait, tout s’explique grâce à son étymologie : ce verbe y est vraiment allé par quatre chemins pour se fixer dans la langue !

Sur la route, on trouve le verbe latin ire qui signifie se déplacer et son acolyte vadere qui apporte une nuance de force et vitesse. Le premier a donné les conjugaisons du futur et conditionnel (irai ou irais la différence ici) tandis qu’on retrouve le second aux présents de l’indicatif et de l’impératif (z’y va !). Pour le reste, les historiens de la langue hésitent un peu. Le latin ambulare signifiant « se promener » semble avoir l’avantage bien que l’évolution phonétique et les transformations subies soient incertaines. L’hypothèse d’une forme intermédiaire en latin populaire allare est probable et expliquerait la plupart des autres formes (allons, allais, allâmes). Une quatrième source est proposée : il s’agirait d’une dérivation verbale à partir d’un nom latin ala (aile) qui expliquerait l’orthographe avec un seul « l » des premières formes attestées en ancien français au XXIème siècle.

Bref, pas de composition ici, il s’agit simplement d’un magnifique désordre ! Et il reste le beau mystère de savoir pourquoi trois mots latins ont été empruntés pour former la conjugaison de ce qui est devenu un seul verbe en français… Mais avouez que vous allez être moins fâchés désormais à l’idée de conjuguer ce verbe ! Irais-je jusqu’à dire qu’il va vous plaire ?

Rocambolesque

Après deux semaines de cours magistraux théoriques, on accueille un adjectif au charme désuet et à l’histoire particulièrement intéressante. Ce mot est construit par dérivation à partir du nom propre Rocambole. Autrement dit, il s’agit d’une antonomase dérivée et lexicalisée. Je me permets un peu de verbiage étant donné que toutes ces notions ont déjà été abordées dans la catégorie « Des mots dans tous les sens et sans direction ». Et pour les nuls, vous pouvez toujours réviser ici et .

Revenons à notre Rocambole. Ce monsieur est le héros d’un long roman à épisodes (que je n’ai pas lu) écrit par Ponson du Terrail et publié en feuilleton dans plusieurs journaux de 1859 à 1884. Au fil des épisodes, Rocambole oscille entre voyou gouailleur et justicier plus ou moins vertueux, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Mais le personnage et le roman, extrêmement populaires, sont pourtant réputés pour leur caractère extravagant. En effet, l’auteur semble avoir pris de grandes libertés avec la vraisemblance. A l’image des romans d’intrigue populaires, les aventures du héros sont déjà marquées par les rebondissements multiples et révélations en cascade mais l’auteur n’hésite carrément pas à ignorer certaines péripéties d’un épisode afin de poursuivre les aventures comme il l’entend ou comme le public semble le désirer. Ainsi, Rocambole défiguré par l’action du vitriol redevient beau gosse sans la moindre explication parce que sans déconner, un gentil moche, tout le monde s’en fiche et ça ne fait pas vendre ! Mieux encore, blessé à mort, un coup d’épée en travers du corps à la fin d’un épisode, on retrouve son cadavre, noyé, mais bien vivant au début du suivant… comment ça, c’est peu crédible ? Vous ne voulez donc pas que le justicier finisse son travail ?

drames_de_paris

Ce qui est plus drôle encore, c’est qu’une légende s’est peu à peu développée autour des romans. Dans Saga de Tonino Benacquista, un personnage de scénariste fait référence au manque de vraisemblance des aventures pour louer la liberté de Ponson du Terrail. La citation choisie témoigne certes d’une audace remarquable : alors que Rocambole a été jeté à l’eau, enfermé dans une caisse en métal, l’épisode suivant commence par un improbable « Se sortant de ce mauvais pas, Rocambole remonte à la surface » ! Eh bien cette citation n’existe pas ! Plus précisément, il existe sur internet une multitude de versions différentes : selon Bernard Werber, Rocambole survit aux requins qui attaquent le cercueil où il se trouve enfermé puis « marchait sur la 5ème avenue de New York », d’autres grands lecteurs croient se souvenir que Rocambole gagne aisément les berges de la Seine après s’être échappé d’un coffre-fort. J’ai passé un temps inavouable à chercher un tel passage et ne suis parvenue à trouver que des dizaines de commentaires, hilares ou émerveillés, mais jamais documentés, de ce soi-disant extrait. La mythique référence est toujours accompagnée d’une anecdote, elle-même soumise à quelques variations. Ponson du Terrail aurait tué son personnage pour protester contre un refus d’augmentation puis, une fois indemnisé, aurait poursuivi les aventures avec le plus grand naturel. J’adore cette vie parallèle des romans dont le caractère extravagant a colonisé la réalité même.

Voilà autant d’ingrédients qui font de Rocambole un personnage romanesque suffisamment haut en couleurs pour donner son nom à toute aventure incroyable ou enchainement d’événements hors du commun.

Basic Instinct The Acid

Attention, risque d’envoutement total à l’écoute de ce morceau ! Apparemment, c’est l’objectif que s’est fixé le trio australo-anglo-californien pour l’intégralité de l’album et, en ce qui me concerne, ça fonctionne parfaitement. Chaque seconde d’écoute est un bonheur, j’ai l’impression que chaque son distinctement me procure du plaisir et le mélange produit l’effet d’un véritable charme. Je vous laisse écouter tranquillement et après je papote.

Deux notes de guitare acoustique me mettent déjà en bonne disposition. (Je crois que je suis assez midinette en musique…comme Stéphane qui pleure pour Heather Nova à vrai dire !) Seconde 9 : c’est déjà gagné, je suis séduite par le crissement sur les cordes, un son que j’adore ! Ensuite le double claquement juste avant le chœur poursuit le travail jusqu’à l’ensorcellement complet par la voix légèrement essoufflée du chanteur.

En fait, il y a deux éléments qui me rendent ce morceau particulièrement délectable. Le premier réside dans le mélange des sensations que les sons évoquent. Le frôlement des doigts sur la guitare, le claquement de mains, la respiration : il ne s’agit plus seulement de perceptions auditives et le plaisir de l’écoute se diffuse comme si l’on pouvait toucher ou goûter la musique. A 2 :30, on entend la langue du chanteur claquer à la fin de « basic instinct ». Bonheur !

Le deuxième élément remarquable, c’est le mélange des genres. Je n’ai pas l’intention de vous bombarder de néologismes d’experts capables de différencier en un instant la trip-hop de l’électro-dub et d’ailleurs cela me semblerait bien inutile ici pour ce morceau qui échappe au classement. En bref, on pense écouter une sorte de folk moderne très aérienne, puis au deuxième couplet une petite touche électro sonne comme une invitation à danser. Mais c’est rapidement la déroute : guitare bien sonore, saturation, la voix se fâche façon gros rock… et c’est fini. On danse à nouveau ou on plane comme on veut.

Pour ne rien gâcher, le clip est très beau. La chorégraphie et la mise en scène s’inscrivent parfaitement dans ce ton du mélange, entre sensations aériennes et pesanteur. Deuxième envoutement :

Mijoter des mots (partie 2)

On continue le stage « cuisine des mots » avec de nouvelles recettes beaucoup plus simples que celles dont on a parlé la semaine dernière. Reprenons donc au niveau « débutant » avec deux recettes parmi les plus répandues :

  1. L’emprunt, c’est-à-dire plus précisément le vol d’un mot provenant d’une autre langue. Il est communément admis que le Français est constitué à environ 80% de mots (ou radicaux) latins. Mais le reste est assez varié, du cratère grec au bistro russe (signifiant « vite »), en passant par le toubib arabe ou le pyjama Le plus souvent, le mot volé subit des modifications à l’écrit ou à l’oral : en bref, il est assaisonné de façon à plaire au goût de la langue qui l’intègre. L’adoption est parfois délicate car il faut prendre le temps de savoir comment le cuisiner. Doit-on dire que l’on a googlé ou google-isé son nouveau collègue ? Avez-vous regardé la vidéo du ou de la flash-mob posté(e) dix mille fois sur facebook hier ?
  2. L’extension de sens : elle peut prendre deux formes. Un mot gagne un nouvel arôme, une deuxième signification. La plupart des souris dans votre appartement n’ont pas à craindre la présence d’un chat. Par ailleurs, un mot peut également changer de catégorie grammaticale. Votre remède anticoagulant devient tout simplement un anticoagulant. L’adjectif et le nom commun sont désormais présents dans le dictionnaire.

    -Chef, j’ai encore une question ! Des fois, on est à la limite du plagiat mais quand même, le style est différent…
    -C’est juste, l’emprunt est souvent combiné avec l’extension du sens. Lavabo est volé au latin mais ne désigne pas originellement un objet puisqu’il s’agissait d’un verbe signifiant « laver ». Vos baskets sont certes américaines mais aucun anglophone ne se doutera que vous parlez de chaussures si vous utilisez ce mot qui désigne un panier ou un sport collectif.

 En cuisine, même en suivant des recettes, on peut être créatif voire ludique ! Voici la fin de la preuve par 9 que c’est la même chose avec les mots :

  1. La troncation ou la créativité des flemmards : prenez un mot, coupez-en une partie et voilà ! Une recette simple et économique pour un apéro improvisé. Hey, les gars, j’ai croisé le proprio de votre appart en vélo hier soir !
  2. Les mots valises ou le cocktail des paresseux qui se la jouent: on prend deux mots, on les coupe, on les colle et on obtient un nouveau concept complètement révolutionnaire. Le soja, c’est vraiment un alicament de base si vous voulez manger sain !
  3. La siglaison ou la cuisine moderne qui rend perplexe. On se contente des initiales de plusieurs mots pour créer une recette toute neuve. En France, on est assez champions dans ce domaine. Pour vous donner une idée, je travaille dans un établissement APV (affectation prioritaire à valoriser) situé dans un secteur RRS (réseau de réussite scolaire) où les élèves proviennent le plus souvent de familles CSP moins (catégorie socio-professionnelle). Mais heureusement, il y a aussi les acronymes qui font oublier leur origine. Gardez cependant en tête qu’il y a peut-être un « Radio detection and ranging », un radar sur votre route ! Il est intéressant de savoir que la chirurgie par « Light amplification by stimulated emission of radiation » ou laser progresse énormément !

    – Dites Chef ?
    – Ah ! Mais on va jamais s’en sortir ! Quoi ?
    – On peut aussi être hyper créatif et mélanger les styles de cocktails… En inventant par exemple des acronymes-valises comme bobo, bourgeois-bohème ou modem modulateur-démodulateur…
    – Oui on peut ! Allez, la suite !

  1. Les onomatopées ou le coup de génie créatif. Je pense qu’il faut tout simplement commencer par ingérer une bonne dose d’hallucinogènes pour fabriquer un mot à partir de sons que l’on croit percevoir et auxquels on attribue un sens. Cocorico? Franchement, je n’ai pas grandi à la campagne mais je sens bien qu’il y a un souci. Avant que mon commis ne s’exprime, je précise immédiatement que certaines onomatopées peuvent être associées à une dérivation. Miauler est une action (le suffixe –er nous l’indique) qui vient bien entendu du fameux son « miau » émis par tous les chats.
  2. Les jeux de mots ou les recettes de copains. L’exemple le plus connu à notre époque et qui s’est probablement le plus inscrit dans la langue est le verlan. On ne compte plus les mots largement employés, provenant de ce système de transformation des mots. Laisse béton ce keum! Il est trop chelou ! Il y en a eu d’autres avant comme le louchebem de la communauté des bouchers qui nous a légué l’adjectif loufoque ou l’expression  en loucedé  et il y en aura probablement de nouveaux.

Ayé ! La preuve par 9 est terminée ! Si vous voulez jouer le rôle du commis curieux et tatillon et massacrer ma belle liste, je vous en prie, lâchez-vous en commentaire. Mais appelez-moi chef !